quelques histoires…


de passage à Bruxelles en 1982

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Niko: Tu m’as dit très rapidement qu’à quinze ans, t’es venu à Bruxelles dans des conditions un peu spéciales, est-ce que tu pourrais peut-être nous re raconter. C’était en quelle année? comment ça s’est fait tout ça?

LL de Mars: L’année c’est simple. En fait, j’ai quinze ans, et je suis né en 67. Ça veut dire qu’on est en 82. J’ai jamais bougé de chez moi. Je vis dans une petite ville de province française qui s’appelle Lorient, en bord de mer. Une famille ouvrière, et c’est pas un milieu où il y a une place accordée a priori à la culture des images et je dirais même à la culture tout court. C’est un milieu plutôt fruste en terme de matérialisation culturelle. Il n’y a pas d’hostilité à cet égard, mais une méconnaissance absolue, à commencer par la mienne. J’ai quinze ans, je ne sais pas grand -chose, je découvre la peinture. J’ai commencé à peindre quand j’avais treize ans, à la mort de ma grand-mère. Son portrait. Ça a été mon premier tableau. Et tout est très empirique et bordélique, très confus, pour me construire une culture artistique. Elle se construit avec ce que je peux trouver dans les premières boutiques de revente de bouquins : à très bas prix chez des destokeurs, c’est les premiers qui apparaissent dans les années quatre vingt. ça s’appelait Maxi-livre, et je peux, avec le très peu de fric que j’ai, acheter de temps en temps des livres d’art, en gros des livres où il y a des représentations de tableaux. Et ça veut dire que je construis ma culture avec ce qui est disponible, dans le chaos. ça peut être des peintres modernes, mais aussi merdiques que Wifredo Lam, Julio Gonzalez. Une image de la modernité, sur laquelle je n’ai pas d’avis, que je me construis. Et avec, évidemment, un petit socle qui se construit pas à pas de peinture plus classique. J’ai une vague idée de ce qui est moderne. Pour moi, c’est Gauguin. Et c’est un peu ça. C’est la fin du dix-neuvième, le début du vingtième. Ça m’émerveille beaucoup.

Commence à se construire une espèce de rêve, c’est d’aller voir des vrais tableaux. Pour des raisons complètement anecdotiques, Bruxelles nous fait rêver moi et mes deux potes. C’est la coutume dans les modes de vie ou t’es l’espèce d’extraterrestre de ta classe. En général, tu vas t’agréger au type qui est aussi extraterrestre que toi, comme ça, tu te fais taper avec lui. Enfin bon : t’as un pote. Et moi, j’étais très riche en potes, j’en avait deux. Et on a fini par rencontrer un autre zozo qui n’était pas dans la même école. Donc on se retrouve avec une bande de quatre, et Bruxelles nous fait rêver, notamment parce qu’on écoute en boucle les chansons de Dick Annegarn. Non mais c’est vrai, l’image de Bruxelles est complètement liée à Dick Annegarn, on chante ça. Les français écoutent pas ça, mais nous, on connaît l’anecdote sans intérêt.

Mais des chansons que tu connais encore maintenant?

On chante encore régulièrement: Bruxelles ma belle, Mireille (est une mouche), Sacré Géranium, on connais ça par cœur.

Et c’est ça le petit starter?

Le truc, c’est : on veut partir voir des tableaux. On est dans une un éventail culturel social très pauvre. Celui qui vit le plus durement d’entre nous, c’est Patrick, qui part avec nous. Qui est mort depuis depuis il s’est suicidé assez jeune. Lui, il est dans un milieu vraiment ouvrier très dur. Ils sont sept dans un tout petit appartement. Moi, j’ai la chance d’être fils unique, donc les problèmes financiers pèsent un peu moins sur ma famille. Donc on a pas de fric. Donc, ça veut dire que le voyage va être root de chez root. Mais on sait que en Hollande, il y a le musée Van Gogh et le Rijksmuseum, on se dit : bah, ça pourrait être le point de chute. On va traverser le nord. On va aller à La Haye. Elle va aller à Anvers, parce qu’on sait qu’a Anvers, il y a des Rubens. Et on va commencer par Bruxelles et on va faire que des musées jusqu’à ce qu’on n’ait plus de sous, et on revient.

Et vos parents sont au courant?

Mes parents sont terrifiés à l’idée qu’on se barre, mais on est têtus, on veut absolument faire ça. Ils ont une relative confiance. Ils supposent qu’on va pas se droguer. Ce qui est pas loin d’être vrai parce qu’on est quand même assez jeunes, et Lorient, ça reste une plateforme de la drogue. Mais en fait, on n’y touche pas encore beaucoup, on est juste alcooliques, donc ça va. Et donc on part et on a quinze ans et on déboule à Bruxelles. On se donne rendez-vous à Bruxelles, ville qu’on ne connaît pas. On se dit « bah rdv à la gare ». On ne sait pas qu’il y en a plusieurs. Donc, bon, spontanément va plutôt vers la gare centrale. C’est bien, parce que, du coup, on s’y retrouve. C’est un bon coup de bol que y’en ai pas un qui se soit retrouvé à la gare du midi. ça aurait pu être compliqué. Mais ça n’a pas été si compliqué. Et on s’attend. Et donc ça dure des heures l’attente. Le dernier pote, il arrive, je crois, six ou sept heures après le premier.

Donc, on va commencer par rencontrer Bruxelles par la vie de la gare, la vie nocturne avec les clodos. Déjà, pour nous, c’est l’aventure. Whao! Donc, on va se retrouver tous ensemble, du coup, il est très tard, on n’a pas mangé. On va manger dans des poubelles avec un clodo de Bruxelles très marrant qui s’appelait Sébastien. Qui était, je crois, tambour, dans une espèce de petite harmonique merdique. Donc, il était dans un appart des plus pourris, près de la gare du midi. À l’époque, il y avait encore beaucoup de prostituées dans les vitrines. Déjà, pour nous, ça, c’était magique. On a pris des croquis, on se fait engueuler. Il fallait pas, mais c’était bien. On arrive chez Sébastien, qui est au troisième étage d’un immeuble à moitié désaffecté. Il manquait des bouts d’escalier. On se retrouve à dormir là. On a notre première nuit aventureuse dans un endroit qu’on connait pas, chez un mec. C’est juste une chambre. On est tous sur le sol. Il y a pas de matelas, on a juste des sacs de couchage. Y a pas mal de cafards et il y a son petit costume de tambour qui est pendu sur le mur. Tout est crado, dégueulasse, y a des vieux plats sous le lit qui ont séché, mais un truc étincelant, c’est son petit costume du tambour qui est sur le mur. Sébastien est homosexuel, nous raconte la vie homosexuelle dans son quartier. Et on se dit ça commence bien ce voyage!

On va aller boire des coups chez son voisin d’en face, un vieil alcoolo en robe de chambre dont la bite dépasse de la robe trop courte! Et pour aller dans l’appart de son voisin, il faut marcher au-dessus d’un ensemble de marches qui manquent. Donc, il y a le vide d’au moins deux étages dessous et une poutre pour y aller. Bruxelles pour nous est vraiment déjà incarné par une espèce de déviance fondamentale. Et on va passer un séjour comme ça. On alternera entre les moments de loose, mais qu’on aime beaucoup, pis ça nous coûte rien, on est très jeunes, on est robuste. Dormir dehors, ça nous fait rien, on s’en fout.

> Avenue Louise en janvier 1982 < > Gare du midi en mai 1985 <.

On est en quel mois? Vous aviez froid?

On est trop jeune pour avoir froid. Même quand il pleut, on n’en souffre pas du tout. On a dormi à la bibliothèque nationale, sous les arcades. Donc, sur la pierre, quoi, dans nos sacs de couchage. On était plutôt bien. Du coup, toute la nuit, on rencontre des gens qui nous parlent, et ça aussi c’est nouveau pour nous. On rencontre nos premiers belges et avec étonnement, on découvre un mode de vie et des contacts sociaux auxquels on n’est pas habitués. Donc, en gros, quand tu restes devant une carte à Bruxelles, à ce moment-là, douze secondes, y’à quelqu’un qui vient t’aider pour te demander si t’es paumé, et s’il a un peu de temps, il te conduit. C’est assez nouveau aussi pour nous comme rapport social. On est enchantés par ce qu’on vit ici. Et on va aller tous les jours au musée. ça ne porte pas encore le nom de Beaux-Arts, c’est pas le musée Magritte, c’est pas tout ça. C’est une collection. Le musée en lui-même, pour nous, c’est dingue, puisque c’est le chaos total avec les collections anciennes et modernes, en fait, elles sont visibles les unes les autres depuis une espèce de grand hall. Donc, il y a un télescopage du moderne et de l’ancien, même visuellement. Les musées sont extrêmement peu chers. Et on découvre tout dans un désordre total. C’est à dire que tout est nouveau pour nous. On pensait que Gauguin et van Gogh, c’était le maximum de la modernité. Et tout au long du chemin qui nous mène jusqu’à Amsterdam, on va prendre des claques picturales qui des fois nous scandalisent. Mais on ne sait pas si ça nous scandalise ou si on est admiratif. Y’avais une rétrospective Malevitch à la Haye. Et donc on voit le carré blanc sur fond blanc, il était là. On ne savais pas que ça existait bien entendu. On ne sait pas si on trouve ça merveilleux ou scandaleux. Un peu les deux. En tout cas, ça nous manque très profondément. On va découvrir Anselm Kiefer, Co Westerick, des gens comme Bram Bogart, des trucs qui traversent pas les frontières ; Anselm Kiefer oui, mais pas les autres. Et donc, pour nous, y a aussi ça, l’idée que, ah oui, il y a des particularismes locaux. On ne pouvait pas le savoir. Y’a des peintres qui existent ici, qui n’existent pas chez nous. Alors qu’ils sont modernes, qu’ils ont de l’importance ici, et pour nous ils n’existent pas et ça change notre rapport au monde. Toute la pérégrination entre Bruxelles et Amsterdam, ce n’est que des apprentissages violents, dans un temps extrêmement compressé. On va faire une éducation artistique, mais Pouh!

_________________________________________________________ LL de mars en 2024 au Musée Wiertz à Bruxelles

En quoi, quinze jour? un truc comme ça?

Ouais, voilà dix jours.

Et le retour vous aviez plus de sous? vous aviez tout claqué.

On avait tout claqué puis après on rentre et après on a de quoi parler ensemble un an. Donc, on a peint, on a dessiné, on a pas arrêté, en rentrant, tous les jours, on a été aux taquets.

Personne n’a pris de photo?

On n’avait pas d’appareil photo, que des croquis. Et du coup, on a fait notre première expo, ensemble. Donc on avait seize ans, on fait une expo. Dans une espèce de lieu assez bizarre.

j’étais curieux de cette première rencontre avec Bruxelles et je m’attendais pas à tout ça!

C’était agréable! Et du coup, je suis revenu très souvent.

[…]

Puis la discussion avec LL de Mars se porte vers son arrivée dans l’édition et plus précisément par ses premiers fanzine vers 1985 et sa rencontre et collaboration avec C de Trogoff… L’intégralité de la discussion est écoutable
ci-dessous et a été enregistré lors de leur passage à Bruxelles en mai 2024.